LETTRES D'UN VOYAGEUR (TOME 2) by George Sand

LETTRES D'UN VOYAGEUR (TOME 2) by George Sand

Auteur:George Sand [Sand, George]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Essai
Éditeur: Les Bourlapapey Bibliothèque numérique romande
Publié: 2014-03-22T15:11:30+00:00


Malgache, ta mère est vieille ; ne reste pas longtemps éloigné d’ici. Quand tu ne l’auras plus, tu regretteras amèrement les jours passés loin d’elle, et tu voudras en vain les faire revivre.

Il tempo passa e non ritorna a noi,

E non vale il pentirsene di poi.

X

À HERBERT.

Mon vieux ami, je t’ai promis de t’écrire une sorte de journal de mon voyage, si voyage il y a, de la vallée Noire à la vallée de Chamounix. Je te l’adresse et te prie de pardonner à la futilité de cette relation. À un homme triste et austère comme toi, il ne faudrait écrire que des choses sérieuses ; mais, quoique plus vieux que toi de plusieurs années, je suis un enfant, et par mon éducation manquée et par ma fragile organisation. À ce titre j’ai droit à l’indulgence, et rien ne me siérait plus mal qu’une forme grave. Vous m’avez traité en enfant gâté, vous tous que j’aime, et toi surtout, rêveur sombre, qui n’as de sourire et de jeunesse qu’en me voyant cabrioler sur les sables mouvants et sur les nuages fantastiques de la vie.

Hélas ! gaieté perfide, qui m’as si souvent manqué de parole ! rayon de soleil entre des nuées orageuses ! tu m’as fait souvent bien du mal ! tu m’as emporté dans les régions féeriques de l’oubli, et tu as laissé des spectres lugubres entrer dans les salles de ma joie et s’asseoir en silence à mon festin. Tu les as laissés monter en croupe sur mon cheval ailé et lutter corps à corps avec moi jusqu’à ce qu’ils m’eussent précipité sur la terre des réalités et des souvenirs. N’importe ! sois béni, esprit de folie qui es à la fois le bon et le mauvais ange, souvent ironique et amer, le plus souvent sympathique et généreux ! prends tes voiles bariolées, ô ma chère fantaisie ! déploie tes ailes aux mille couleurs ; emporte-moi sur ces chemins battus de tous, que ma faiblesse m’empêche de quitter, mais où mes pieds n’enfoncent pas dans le sol, grâce à toi ! garde-moi dans l’humble sentiment de mon néant, dans la philosophique acceptation de ce néant si doux et si commode, qui s’ennoblit quelquefois par la victoire remportée sur de vaines aspirations… Ô gaieté ! toi qui ne peux être vraie sans le repos de la conscience, et durable sans l’habitude de la force, toi qui ne fus point l’apanage de mes belles années et qui m’abandonnas dans celles de ma virilité, viens comme un vent d’automne te jouer sur mes cheveux blanchissants, et sécher sur ma joue les dernières larmes de ma jeunesse.

Et toi, cher vieux ami, prête-toi aux caprices de mon babil et à l’absurdité de mes observations. Tu sais que je ne vais pas étudier les merveilles de la nature, car je n’ai pas le bonheur de les comprendre assez bien pour les regarder autrement qu’en cachette. Le désir de revoir des amis précieux et le besoin de locomotion m’entraînèrent seuls cette fois vers la patrie que tu as abandonnée.



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